L’Indonésie mobilise l’armée pour produire du sucre et du bioéthanol en Papouasie

Devant un hélicoptère, trois soldats et deux civils partent en mission. Les militaires et les oligarques aggravent la destruction de la forêt tropicale et de l’habitat des Papous (© Pusaka) Fonctionnaires et militaires sur un terrain défriché L’armée accompagne le ministre de l’Agriculture indonésien sur un site déboisé pour produire du sucre et du bioéthanol (© Pusaka) Vue aérienne de la coupe à blanc De grandes surfaces de forêt tropicale ont déjà été défrichées dans le district de Merauke (© Pusaka) Cargo rempli de pelleteuses Des centaines d’ excavatrice du groupe Jhonlin ont déjà été livrées à Merauke (© Pusaka) Deux hommes du peuple autochtone Mahuze dans la province indonésienne de Papouasie La forêt tropicale, les marais de sagou et les moyens de subsistance des Malind disparaissent, loin des regards (© Richard Mahuze)

3 oct. 2024

Des militaires indonésiens doivent participer activement au programme gouvernemental de production de sucre et d'éthanol dans la Papouasie du Sud. Deux millions d'hectares de forêt tropicale et la vie des autochtones sont gravement menacés. Populations locales et organisations non gouvernementales sont horrifiées.

Sous prétexte d’assurer la sécurité alimentaire de la population et de vouloir devenir indépendante des importations, l’Indonésie souhaite créer plus de deux millions d’hectares de plantations de canne à sucre dans la province de Papouasie du Sud (Merauke). Le projet prévoit également la construction de cinq usines de production du carburant bioéthanol, qui pourra être exporté.

Le projet "Alimentation et Énergie Merauke" (Pangan dan Energi Merauke), est ce que l’Indonésie nomme un "Food Estate". Il a la plus haute priorité économique en tant que "projet stratégique national" (Proyek Strategis Nasional). Toute résistance à sa mise en œuvre est quasiment impossible. L’armée surveille le bon déroulement des opérations.

Un projet d’une telle envergure est un signal d’alarme pour la forêt tropicale de la Papouasie du Sud. Ces dernières années, plus d’un million d’hectares de forêt ont déjà été déboisés dans cette région dans le cadre du projet MIFEE (Merauke Integrated Food and Energy Estate). MIFEE, qui visait à produire du riz et de l’huile de palme, est déjà considéré comme un échec en raison d’une mauvaise planification, de coûts élevés, de la déforestation, d’incendies, de récoltes médiocres et du retrait des investisseurs.

Ces grands projets ont pour premières victimes les populations autochtones du district de Merauke : les Malind, les Maklew, les Khima et les Yei. Ils augmentent les menaces pesant sur leurs territoires, marais de sagou et forêts tropicales. Ils bafouent également leur droit à être informés et impliqués. En effet, le droit international garantit aux peuples autochtones un droit au consentement préalable, libre et éclairé dès lors qu’ils sont touchés par des projets économiques ou d’infrastructures.

Les études d’impact environnemental et social font défaut ou ne sont pas accessibles.

« Le projet "Alimentation et Énergie Merauke" prive les indigènes de leurs droits à la vie, à la terre, à l’utilisation des ressources naturelles, au développement et à l’alimentation. En outre, la destruction des forêts, des marais et des tourbières aggravera les crises écologiques », déclare Franky Samperante, directeur de notre organisation partenaire Pusaka.

Casernes vides – bonnes affaires

Au-delà des conséquences écologiques et sociales alarmantes pour cette dernière véritable grande zone de forêt tropicale de la région Asie-Pacifique, c’est la manière de d’imposer ce projet qui fait peur. Dès son lancement, l'armée indonésienne s’occupe d’étouffer la résistance. L’un des cinq nouveaux bataillons qui seront créés pour la Papouasie sera ainsi stationné à Merauke.

Les entreprises impliquées dans le projet, dont le groupe Jhonlin, emploient du personnel militaire pour l’acquisition des terres et l’arpentage, ce qui exerce une pression massive sur les communautés. Les soldats participent au défrichage et à la destruction des zones importantes pour les populations autochtones. Le transport et la vente des bois tropicaux sont également assurés par l’armée. L’engagement des militaires doit même aller jusqu’aux travaux agricoles, ainsi qu’à la production de sucre et de bioéthanol.

« La participation de l’armée au Food Estate de Merauke peut menacer la vie des Papous. Elle entraînera encore plus de violations des droits humains, de violence et d’arbitraire, c’est-à-dire de violations de la Constitution et des lois. De plus, les accords internationaux sur le développement durable seront  bafoués », déclare Teddy Wakum, porte-parole de l’initiative #SolidaritasMerauke.

Des organisations indigènes et de protection de l’environnement demandent au président sortant Joko Widodo et à son successeur Prabowo Subianto de mettre fin au projet ainsi que de renoncer à la création d’un nouveau bataillon pour Merauke. De manière générale, aucun projet économique ne devrait être imposé par la force militaire.

Sucre et bioéthanol à Merauke

Le projet de production de sucre et de bioéthanol à Merauke fait partie du programme "Alimentation et énergie" du gouvernement du président Joko Widodo. Il a été officiellement lancé en novembre 2023 par le ministre coordinateur des Affaires économiques, Airlangga Hartarto.

Les travaux ont commencé en juin 2024, avec l’accaparement des terres, le non-respect des droits des autochtones, des défrichages et autres interventions massives dans l’écologie de Merauke.

Une surface d’environ 400 000 hectares doit être déboisée pour établir des cultures de canne à sucre. Au total, les plantations doivent s’étendre sur deux millions d’hectares, là où se trouve encore aujourd’hui la forêt tropicale. Cinq usines sucrières sont projetées, ainsi que des installations pour la production d’éthanol et les infrastructures correspondantes.

Lors d’une cérémonie le 23 juillet 2024, le président Joko Widodo a mis en terre le premier plant de canne à sucre, sur la surface défrichée de l’entreprise de plantation PT Global Papua Abadi dans le village de Sermayam près de Merauke.

Le groupe Jhonlin a commandé 2 000 excavatrices en Chine, dont des centaines sont déjà arrivées à Merauke.

Pour les groupes de défense de l’environnement et des droits humains, le projet de production de sucre et de bioéthanol de Merauke mènera à une catastrophe écologique et sociale, au seul profit d’une poignée d’entreprises et de banques.

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