L’industrie de l’huile de palme attaque des journalistes

17 févr. 2010

Vincent Bolloré, le géant de l’économie française, attaque en justice des journalistes de France Inter pour leurs reportage sur les activités de son groupe en Afrique, pointant en particulier les conditions de travail désastreuses, violences, et pollution environnementale dans les plantations de palmiers à huile au Cameroun. 

Quand la liberté de presse recule devant les magnats de l’économie Les Français se rappelleront sûrement des vacances en famille à bord d’un yacht de luxe, offertes à M. Nicolas Sarkozy après son élection présidentielle en mai 2007, par son ami M. Vincent Bolloré. L’affaire avait choqué, en témoignent les critiques et indignations suscitées sur la scène politique.

Le milliardaire est aujourd’hui au cœur d’une nouvelle actualité, bien plus alarmante, et pourtant largement moins médiatisée. Le 15 décembre 2009, un journaliste et un producteur de France Inter ont été cités à comparaître devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, suite à la plainte pour diffamation déposée contre eux par M. Bolloré.

L’homme d’affaire s’est senti menacé par le reportage «Cameroun, l’empire noir de Vincent Bolloré » diffusé le 29 mars 2009, dénonçant les conséquences sociales et écologiques des pratiques du groupe Bolloré en Afrique. Y était reporté que pour cultiver des palmiers à huile, les villages sont détruits, les forêts sont rasées, et les hommes, privés de leurs ressources et modes de vie traditionnels, sont contraints de travailler pour le groupe Bolloré dans des conditions déplorables. 

Les journalistes s’étant rendus au Sud-ouest du Cameroun, ont trouvé les villages Pygmées Kilombo I, Bidou III, ainsi que  Mbonjo, et Nkapa dans le département de Moungo, enclavés par des palmiers. Les forêts alentour, territoires de chasse et de cueillette traditionnels des communautés locales, ne sont plus que cendres.

La Société Camerounaise des Palmeraies (SOCAPALM), détenue depuis sa privatisation en l’an 2000 à 38,75% par Bolloré via l’entreprise belge Socfinal, ne cesse d’étendre ses monocultures de palmiers à huile. Du temps de la société d’Etat, elle n’a pas hésité pas à expulser les populations établies en mettant le feu à leurs maisons. Aujourd’hui, la SOCAPALM continue à détruire la nature locale et à ignorer les droits des populations sur les terres qu’elles exploitent. « Les gens de la SOCAPALM sont venus ici plusieurs fois, nous leur avons dit de nous laisser un peu de forêt pour chasser mais ils ne veulent pas », confie un habitant du village Bidou III à la journaliste Noumba Danielle.

Privés de leurs habitudes de vie, ces hommes et femmes n’ont souvent d’autre choix que de travailler dans les plantations pour survivre. Sans équipements appropriés ni couverture sociale, les ouvriers s’épuisent pour des salaires de misère, qui ne sont de surcroît pas toujours payés. Pour 30 000 francs Cfa (50 euros) par mois, un employé doit couper 250 régimes de noix de palme par jour. Les infrastructures, écoles, et hôpitaux promis ne sont pas construits, ni les dédommagements annoncés versés.

Dans les palmeraies de la Kienké, la plus grande concession du Cameroun s’étendant sur 15 000 hectares, les employés vivent dans des baraques insalubres et subissent des violences de la part de leurs employeurs de la SOCAPALM. Auprès des journalistes venus recueillir leurs témoignages, les ouvriers se sont eux-mêmes surnommé « les esclaves de la SOCAPALM ».

Les plantations de palmiers sont aussi une plaie pour l’environnement. Afin de rendre les terres cultivables, les forêts naturelles sont déboisées et remplacées par des monocultures qui érodent les sols. La déforestation libère de grandes quantités de gaz à effet de serre, ce qui contribue au réchauffement climatique mondial. Ce type de culture nécessite en outre une grande quantité de pesticides, herbicides, et produits chimiques en tous genres, qui sont déversés dans les cours d’eau, intoxiquant la nature et les Hommes qui s’y abreuvent.

Si ce n’était aussi lourd de conséquences, on pourrait trouver ironique que l’huile de palme serve en partie à fabriquer des biocarburants, la nouvelle énergie « verte » pour nos voitures. Derrière ces pratiques dignes des premiers colons, se cache l’appât du gain. Le groupe Bolloré, classé 18ème fortune de France 2009 par le magasine Challenges, est un acteur puissant dans divers secteurs économiques.

Outre les plantations en Afrique et en Asie, il investit dans la logistique, la distribution d’énergie, le transport (Bolloré est présent dans l’économie portuaire, secteur clefs en Afrique, par le contrôle partiel des ports de Cotonou et Douala, ainsi que dans les chemins de fer depuis la privatisation de la Camrail, la société ferroviaire camerounaise), et les média. C’est en examinant la présence de Bolloré dans ce dernier secteur que l’on comprend plus aisément le peu de couverture médiatique dont bénéficie la présente affaire.

Vincent Bolloré a déclaré au magasine Télérama en novembre 2007 « je dois avoir le contrôle de l'éditorial», et son conseiller Philippe Labro de souligner : « les médias, c'est profondément contemporain et synonyme d'influence. » Et pour cause, le businessman s’est tissé un important réseau de pouvoir, par ses investissements (il possède la chaîne de télévision Direct 8, les deux quotidiens gratuits Direct Soir et Direct Matin en collaboration avec le groupe Le Monde, 44% de l’institut de sondage CSA, 10% de Gaumont, contrôle l’agence de communication Havas ainsi que la SFP, un des prestataires majeur du marché de l’audiovisuel en Europe), ainsi que plus subtilement par ses amitiés politiques.

Messieurs Benoît Collombat et Lionel Thompson, respectivement journaliste et producteur pour la radio de service public France Inter, ont osé enquêter sur les activités du groupe Bolloré au Cameroun. C’est leur reportage dans l’émission « Interception », riche en informations et témoignages poignants, dans lequel ils ont qualifié Vincent Bolloré de « Françafricain », qui leur a valu une attaque en justice.

Suite à l’effusion de témoignages en faveur des deux accusés, M. Bolloré a tenté de se retirer et a demandé un report d’audience, qui lui a été refusé. La suite du procès se tiendra comme prévu les 10 et 11 mars prochains devant la 17ème chambre du Tribunal Correctionnel de Paris. Mme Isabelle Alexandra Ricq, dont la photographie tirée de son reportage au Cameroun illustre cet article, témoignera également en faveur des deux journalistes, avant d’être elle-même accusée en juillet prochain aux côtés de la productrice Rebecca Manzoni, pour une émission diffusée en septembre dernier sur France Inter.

On peut espérer que l’issue de ces procédures déclenchera un débat public au sujet des sombres activités du groupe Bolloré en Afrique. Elle aura en tout cas une signification des plus importantes pour la liberté de la presse.

Les informations contenues dans cet article proviennent des sources suivantes: Le Monde Diplomatique, Le Messager, France Inter, Le Post, Jeune Afrique, Rue 89. Pour plus d’informations sur ce sujet, vous pouvez consulter le communiqué de l’association Survie, ainsi que le site de l’ONG française les Amis de la Terre, qui a décerné le «Prix Pinocchio du Développement Durable 2009 » à M. Bolloré pour la violation des droits humains dans les plantations de la SOCAPLM.

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