Pour une loi anti-SLAPP contre toutes les formes d’intimidations !
La loi européenne contre les procédures-bâillons est une avancée. Mais elle doit aussi couvrir les formes d’intimidation extrajudiciaires, comme les mises en demeure, que nous subissons pour défendre les droits d’autochtones au Brésil. L’Allemagne, en train de transposer cette loi, doit adopter une version forte. Signez notre appel !
À la ministre de la Justice et au parlement national de la République fédérale d'Allemagne
« L’Allemagne doit adopter une version forte de la loi européenne anti-SLAPP, qui s’applique également au domaine extra-judiciaire, comme les mises en demeure. »Un vendredi, à 16h48, notre association reçoit un email de l’avocate G. : une mise en demeure accompagnée d’une déclaration de cessation à signer. Il sera suivi de trois courriels similaires qui exigent l’arrêt de nos publications et nous menacent de poursuites judiciaires. Avant même l’expiration du délai de réponse…
Pour nous, cela ne fait aucun doute : ces envois répétés de courriers vise à nous intimider. Mais nous ne nous laissons pas faire !
Le litige porte sur notre campagne de soutien à des autochtones du peuple Ka’apor au Brésil.
L’avocate indique représenter une organisation Ka’apor et affirme que notre partenaire local, le Conselho Tuxa Ta Pamene, ne représenterait qu’une minorité du peuple autochtone. D’après elle, la critique exprimée à l’égard du projet porté par la société américaine Wildlife Works ne refléterait pas la position majoritaire du peuple Ka’apor. Les mises en demeure ciblent principalement les allégations formulées par notre organisation partenaire à l’encontre de cette entreprise.
Quatre lettres d’avocat, au lieu d’un simple échange : pour nous, cela ne fait aucun doute - nous sommes face à une tentative de nous intimider avec une possible action en justice. Entreprises et personnalités influentes ont souvent recours à de telles poursuites pour faire taire les critiques.
Le gouvernement fédéral allemand vient de présenter un projet de loi, qui transpose une directive européenne contre les procédures-bâillons (ou SLAPP) que nous avons activement soutenue. Toutefois, le texte proposé comporte d’importantes lacunes. Une importante : ne pas couvrir le champ extrajudiciaire, comme l’illustre bien notre histoire récente. Dans bien des cas, une simple mise en demeure, avec injonction de cessation et menace de poursuites suffit à faire taire les critiques.
Nous demandons en conséquence que la future loi allemande intègre explicitement les formes extrajudiciaires de pression. L'Alliance allemande contre les SLAPP, dont nous sommes membres, porte les mêmes revendications.
Soutenez-nous en signant notre appel !
Nos publications visées par les mises en demeure
- Pétition, 05/05/2025 (en allemand) : Wildlife Works raus aus dem Regenwald der Ka'apor
- Article, 20/12/2023 (en allemand) : US-Firma verursacht mit geplantem CO2-Handelsprojekt Konflikte unter indigenen Ka'apor
- Article, 20/04/2024 (en allemand) : Indigene Ka'apor beklagen Übergriffe durch Händler von Emissionsgutschriften in ihrem Regenwald
- Article, 05/06/2025 (en allemand) : Gericht stoppt CO₂-Projekt im Amazonasregenwald von Brasilien
Il existe une version française de certaines de ces publications.
Pourquoi ces mises en demeure constituent-elles une procédure-bâillon ?
Plusieurs indicateurs peuvent être pris en compte pour savoir si une poursuite judiciaire ou une action extrajudiciaire donnée, telle qu’une mise en demeure, constitue une procédure-bâillon. Dans le cas présent, notre avocat résume la situation ainsi :
« À mon avis, le fait d’adresser quatre mises en demeure détaillées en l’espace de quelques jours à une ONG organisée sous forme d’association à but non lucratif, combiné à l’intérêt économique manifeste de l’entreprise américaine Wildlife Works LLP qui se profile derrière cette démarche, présente toutes les caractéristiques d’une procédure de type SLAPP. »
Il s'agit donc d'une stratégie consistant à lancer plusieurs attaques simultanées afin d’exploiter le déséquilibre de ressources financières entre une société américaine et une association.
Dans sa prise de position sur le projet de loi anti-SLAPP, qu’il a adressée au ministère fédéral de la Justice, le professeur Roger Mann analyse :
« La pratique montre que, pour éviter d’être accusées de SLAPP, les entreprises plaignantes n’intentent plus directement d’action en justice, mais apparaissent comme représentées par des groupes prétendument demandeurs, prêts à agir sur la base d’accords conclus avec elles. Lorsqu’il existe, au sein des peuples autochtones, plusieurs groupes et leurs représentants, l’un d’eux agit en tant que plaignant, même s’il est évident que ce sont principalement les intérêts économiques de l’entreprise, avec laquelle un tel accord a été établi, qui sont en réalité poursuivis. »
Des réglementations européennes contre les procédures-bâillons
L’UE et le Conseil de l’Europe ont adopté des instruments juridiques internationaux pour lutter contre les poursuites abusives.
La directive européenne 2024/1069 a été adoptée le 16 avril 2024. Les 27 États membres ont jusqu’au 7 mai 2026 pour la transposer dans leur droit national.
Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe (composé de 46 pays - soit tous les États européens à l’exception de la Russie, la Biélorussie, le Kosovo et le Vatican) a publié le 5 avril 2024 la recommandation CM/Rec(2024)2 sur la lutte contre l’utilisation des poursuites stratégiques contre la participation publique. Aucune date limite n’est imposée pour sa transposition.
Le Moniteur européen anti-SLAPP
Créé par l’alliance européenne CASE, l’outil de surveillance nommé « European Anti-SLAPP Monitor » permet de suivre l’avancement de la transposition et la mise en œuvre des normes européennes relatives aux poursuites stratégiques contre la participation publique (SLAPP) au niveau national par les États membres des deux organisations, ainsi que le Kosovo.
À l’été 2025, 17 pays sur 27 avaient lancé le processus de transposition. Les informations manquaient pour 19 pays. Seule Malte a achevé la transposition.
Le Moniteur analyse en permanence le niveau de protection contre les SLAPP dans chaque pays et renvoie vers les documents clés.
La directive anti-SLAPP de l'UE est aussi notre succès
Le projet de loi du gouvernement fédéral allemand s’appuie aussi sur notre travail. Nous avons soutenu la directive européenne avec la pétition « Protégez la démocratie maintenant : stop aux procédures-bâillons ! » et participons activement au réseau européen CASE ainsi qu’au groupe de travail allemand.
Avec nos organisations partenaires, nous avons remis en main propre les 213 432 signatures de notre pétition à la commissaire européenne de l’époque, Věra Jourová, à Bruxelles. En tant que vice-présidente de la Commission européenne, elle a joué un rôle clé dans l’adoption de cette directive.
À la ministre de la Justice et au parlement national de la République fédérale d'Allemagne
Madame la ministre,
Madame la députée, Monsieur le député,
Nous saluons vivement le projet de loi visant à transposer la directive européenne anti-SLAPP 2024/1069.
Nous apprécions particulièrement :
- le fait que la loi couvre également les affaires nationales, et non pas seulement transfrontalières,
- l’exigence d’une procédure accélérée,
- la possibilité de rejet rapide des plaintes,
- le remboursement élargi des frais.
En tant qu’organisation de protection de l’environnement, nous nous occupons des SLAPP, car nous avons été victimes, en 2019, d’une plainte abusive déposée par une entreprise indonésienne devant le tribunal régional de Hambourg.
À l’époque, nous nous sommes engagés au sein du réseau européen The CASE en faveur d’une directive européenne contre les procédures-bâillons. Nous avons remis en main propre notre pétition de 213 432 signatures à la vice-présidente de la Commission européenne à l’époque, Mme Věra Jourová.
Au moment même où le processus législatif a commencé pour transposer la loi anti-SLAPP en Allemagne, nous avons de nouveau été la cible d’une tentative d’intimidation. En l’espace d’une semaine, nous avons reçu quatre mises en demeure, accompagnées de demandes de cessation et de menaces de poursuites judiciaires, envoyées par une avocate. Cette série d’attaques illustre précisément la plus grande lacune du projet de loi actuel :
Le texte présenté néglige le domaine extrajudiciaire.
Or, les lettres de mise en demeure injustifiées, les demandes d’injonction et les menaces de poursuites judiciaires suffisent souvent à faire taire les critiques.
Nous demandons en conséquence que le domaine extrajudiciaire soit intégré de manière explicite et efficace à la loi.
Des dispositions similaires à celles de l’article 97a de la loi allemande sur le droit d’auteur (UrhG) pourraient être envisagées, telles que le plafonnement à 1000 euros des frais liés à une première mise en demeure ou l’obligation de remboursement en cas de mises en demeure injustifiées.
Nous demandons également :
- la prise en compte de stratégies telles que les procédures en série ou parallèles,
- l’extension de la définition des SLAPP aux cas « partiellement justifiés »,
- des coûts plus élevés pour les plaignants afin de rendre les poursuites-bâillons dissuasives,
- des sanctions à l’encontre des cabinets d’avocats notoirement spécialisés dans les SLAPP,
- des services de soutien plus solides pour les victimes de SLAPP.
Nous soutenons également la déclaration de l’Alliance allemande Anti-SLAPP.
Le projet de loi présenté constitue une première étape importante. Cependant, la future loi devra être plus forte afin d’apporter un soutien significatif aux victimes de SLAPP et de dissuader ceux qui abusent de la loi pour intimider leurs détracteurs.
Nous vous prions d’agréer, Madame la ministre, Madame la députée, Monsieur le député, l’expression de notre profond respect.
En Allemagne, une mise en demeure (Abmahnung) est une démarche extrajudiciaire, généralement adressée par un avocat par e-mail ou par courrier. Elle consiste en une demande formelle de corriger, supprimer ou ne pas réitérer une publication ou un comportement jugé illicite — par exemple en cas d’allégations prétendument fausses, d’atteinte à la vie privée ou de propos diffamatoires.
Cette mise en demeure est généralement accompagnée d’une déclaration de cessation (Unterlassungserklärung), que le destinataire est invité à signer. Par ce document, il s’engage à ne plus reproduire l’acte en cause, sous peine de lourdes amendes contractuelles ou de poursuites judiciaires. Le délai imparti pour répondre est souvent très court, parfois de seulement quelques jours.
Ce mécanisme vise à résoudre les litiges rapidement, sans passer par une procédure judiciaire longue et coûteuse. Il peut être avantageux pour les deux parties, à condition que la mise en demeure soit fondée.
Cependant, en pratique, ces outils sont souvent utilisés de manière abusive.
Dans trois articles et une pétition, nous avons dénoncé les conflits engendrés par un projet carbone porté par la société américaine Wildlife Works en pleine forêt amazonienne brésilienne. Ce projet suscite de vives tensions au sein des communautés autochtones. Notre organisation partenaire, le Conseil des Ka’apor Tuxa Ta Pame, rejette fermement ce projet de crédits carbone.
L’avocate G. conteste notre position. Elle affirme que nos publications laissent entendre que l’ensemble du peuple Ka’apor s’oppose au projet. Or, selon elle, sa cliente — l’association « Associação Kaapor Ta Hury Rio Gurupi » — représenterait, avec les 24 chefs traditionnels, environ 95 % des Ka’apor. Selon ses déclarations, ces représentants auraient accueilli favorablement le projet porté par Wildlife Works.
- Sauvons la forêt Le gouvernement allemand présente un projet de loi contre les poursuites-bâillons
- Texte du projet de loi (en allemand) Gesetz zur Umsetzung der Richtlinie (EU) 2024/1069 über den Schutz von Personen, die sich öffentlich beteiligen, vor offensichtlich unbegründeten Klagen oder missbräuchlichen Gerichtsverfahren
À l’international, la procédure-bâillon est généralement appelée par l’acronyme anglophone SLAPP (pour « Strategic Lawsuit Against Public Participation »)
L’alliance allemande anti-SLAPP, le centre anti-SLAPP, ainsi que le professeur Roger Mann (qui nous représente dans l’affaire en cours) ont soumis officiellement leurs observation sur le projet de loi au ministère fédéral de la Justice.
Un dossier contenant l’ensemble des prises de position est disponible en téléchargement au format zip. Les avis exprimés dans ce dossier ne reflètent pas nécessairement notre position ou nos revendications.
De son côté, l’avocate G. a publié sur LinkedIn un commentaire critique à l’égard du projet de loi.
- Pétition, 05/05/2025 : Amazonie : préservez la forêt des Ka’apor des marchands de carbone !
- Article, 05/06/2025 : Un tribunal suspend le projet carbone de l’entreprise Wildlife Works en Amazonie