Barrages - questions et réponses

Une Indienne Ngäbe Buglé observe au loin le chantier de la centrale hydroélectrique de Barro Blanco au Panama © Agustín Abad - http://agustinabad.wix.com/yael

Une rivière sur deux dans le monde est endiguée par un barrage. Certes l’être humain a toujours barré des rivières pour irriguer les champs ou faire tourner les roues des moulins. Mais les grands barrages détruisent l’habitat d’espèces animales et végétales et privent de foyer des millions d’habitants. Les effets sont désastreux.

Comment évalue-t-on la quantité de barrages ?

50.000 grands barrages ont été construits au niveau mondial. Il s’agit de barrages dont le mur de retenue dépasse 15 mètres de hauteur ou dont le bassin contient plus de 3 millions de mètres cubes d’eau. 1700 autres barrages de ce type sont prévus.

Selon l’organisation « River Watch », une rivière sur deux dans le monde est régulée par un barrage. D’après des estimations de la Commission Mondiale des Barrages (CMB), entre 40 et 80 millions de personnes ont perdu leur foyer, ont été expulsées ou déplacées à cause de projets de barrages. Il faut ajouter à cela les 500 à 750 millions de personnes vivant sur le cours aval des rivières.

Pourquoi ces barrages sont-ils construits ?

Les barrages servent en premier lieu à la production d’électricité et à l’irrigation des terres agricoles. Dans une moindre mesure, ils sont construits pour rendre les rivières navigables et assurer l’approvisionnement en eau potable. Toutefois, l’intérêt principal des grands barrages est de produire de l’électricité de l’ordre de milliers de mégawatts. La protection accessoire des barrages contre les crues s’accompagne souvent d’effets négatifs.

Quelles sont les promesses des responsables politiques et des entreprises ?

Les grands projets de barrages sont souvent présentés comme une aubaine pour une large partie de la population. Ils promettent le développement économique, des emplois et une hausse du niveau de vie, tout en offrant une source fiable d’électricité. Mais, souvent, ces promesses ne sont pas tenues.

Depuis peu, l’électricité produite à partir de l’énergie hydraulique est déclarée « verte ». Un argument facile puisque la production d’électricité dans ce cas n’émet effectivement pas de dioxyde de carbone. Bien que l’étiquette «écolo» puisse s’appliquer à de nombreux cas, c’est souvent tout simplement faux.

Comment les barrages détruisent-ils l’environnement ?

Pour l’organisation River Watch, les barrages sont « l’une des pires atteintes à la nature », tandis qu'International Rivers évoque des « conséquences désastreuses » pour l’environnement, la nature et l’être humain.

De vastes zones boisées et marécageuses sombrent sous les lacs de retenue,  des animaux et des plantes voient leur habitat disparaître. De nombreuses espèces ont déjà été exterminées et  la biodiversité s’appauvrit.

Un grand nombre d’espèces de poissons sont menacées car les constructions bloquent leurs itinéraires de migration vers les frayères et que la qualité de l’eau se dégrade. Des scientifiques estiment que 1000 espèces de poissons sont amenées à disparaître en Amazonie en raison de barrages planifiés. Ceci correspondrait à 10% de toutes les espèces d’eau douce et dépasserait la totalité des espèces abritées par l’Europe et l’Amérique du Nord.

L’ampleur de la déforestation est considérable. Pour le « Belo Monte » au Brésil, une surface de 516 km² sera inondée, tandis que le bassin de retenue du barrage de Bakum dans l’état malaisien de Sarawak engloutira 695 km² de terres. (À titre de comparaison : le lac de Constance s’étend sur 536 km².)

Des routes sont construites dans des zones jusqu’ici épargnées et ouvrent la porte aux colons, entreprises agricoles, chercheurs d’or et prospecteurs de tout poil. Des trouées de plusieurs centaines de kilomètres sont ouvertes pour les lignes électriques.

La nature est également détruite sur le cours aval des rivières barrées. De nombreux écosystèmes y ont été façonnés par l’alternance saisonnière de sécheresse et de crue. Les barrages effacent ces variations ou en réduisent la fréquence. Les sédiments qui se déposent après des inondations et contribuent à la fertilité des plaines alluviales disparaissent. Dans certaines rivières, le débit d’eau atteignant la mer est si faible que le delta se rétrécit et l’eau de mer avance vers l’intérieur des terres.

Les géologues considèrent les barrages comme l’une des causes des tremblements de terre.

Quel est le lien entre les barrages et le changement climatique ?

L’électricité produite à partir de l’énergie hydraulique est souvent désignée comme « verte » et neutre pour le climat. Or, bien que cela soit exact au regard de l’électricité produite à partir de charbon, cet argument s’avère souvent faux.

Les lacs de retenue rejettent des quantités significatives de méthane, l’un des gaz à effet de serre. Ceci se produit lorsque des plantes sont charriées dans les lacs et y pourrissent. Dans le cas du barrage de Balbina au Brésil, les arbres ont même été laissés sur pied pendant le remplissage du bassin. Selon des scientifiques, l’électricité produite dans ce barrage participe 40 fois plus au réchauffement climatique qu’une centrale à charbon de taille égale.

Au total, les barrages sont à l’origine de 4% des émissions de gaz à effet de serre, soit autant que le trafic aérien.

Même lorsque les barrages produisent  exclusivement de l’électricité neutre pour le climat, son coût est exorbitant en termes de destruction environnementale et d’injustice sociale.

Le changement climatique a-t-il des effets sur les barrages ?

Tout à fait. Des mesures et des modèles climatiques indiquent que certaines régions d’Afrique et d’Amazonie vont devenir plus sèches à l’avenir. La plupart du temps, les concepteurs ne prennent pas ce facteur en compte. Les barrages sont conçus en fonction de la quantité d’eau disponible aujourd’hui. Si le débit des rivières diminue, la quantité d’électricité promise ne sera jamais produite.

Quelles sont les conséquences des barrages sur les êtres humains ?

Elles sont très souvent négatives.

De nombreuses personnes doivent quitter leur région. Leur nombre est estimé à 80 millions, voire plus. Les groupes sociaux touchés sont souvent les plus vulnérables : indigènes, pêcheurs et petits agriculteurs qui non seulement perdent leurs moyens de subsistance mais aussi souvent leurs racines culturelles. En effet, les rivières revêtent une signification spirituelle pour de nombreux peuples.

Au nom de grands projets, des dizaines de milliers de personnes sont déplacées. En Chine, 1,4 million de personnes ont dû céder leur place au barrage des Trois Gorges. Les dédommagements versés sont souvent beaucoup trop insuffisants. Pêcheurs et paysans sont relogés dans des appartements en ville où ils n’ont aucune source de revenus. Les autochtones sont parfois purement et simplement expulsés en l’absence de titre foncier.

Les chantiers, quant à eux, attirent des milliers de travailleurs. Les villes environnantes n’ont pas le temps de s’adapter à cet afflux : les logements et les infrastructures sociales telles que les hôpitaux sont insuffisants, tandis que la criminalité et la prostitution gagnent du terrain.

De nombreux projets de barrages suscitent la résistance. La police, l’armée et les services de sécurité privés usent parfois de la force pour contrer les manifestations, laissant des morts et des blessés sur leur passage.

Même sur le cours aval des rivières barrées, à des centaines ou des milliers de kilomètres des barrages, les habitants sont affectés. Leur nombre est estimé entre 500 et 750 millions. Comme le transport des sédiments contribuant à la fertilité des sols des plaines alluviales est perturbé, les revenus agricoles chutent. Les sols sont susceptibles de se saliniser.

Des scientifiques attribuent également le rétrécissement des deltas aux barrages. Ceci entraîne la destruction de mangroves et la perte de terres agricoles et favorise les raz-de-marée, mettant de vastes régions en péril. Au Pakistan, l’Indu est notamment si strictement régulé par 19 barrages et 43 canaux que très peu d’eau atteint le delta.

Les barrages contribuent à la propagation des maladies. En l’absence de crue sur le cours aval, les larves de moustiques survivent.

Les barrages profitent-ils aux populations locales ?

Très rarement. Les responsables politiques et les entreprises brisent leurs promesses. Des emplois sont certes créés mais surtout pendant les travaux de construction. En revanche, l’exploitation des centrales hydroélectriques requiert très peu de main d’œuvre.

L’électricité produite n’est pas destinée à la population locale mais à des grands groupes industriels et aux habitants de métropoles éloignées. Les barrages ne s’inscrivent donc pas dans les concepts d’un approvisionnement en électricité décentralisé et bénéfique au plus grand nombre.

Les barrages sont-ils économiquement rentables ?

Cela dépend pour qui. Les barrages rapportent souvent des sommes considérables aux entreprises de travaux publics et aux banques. Les fournisseurs de turbines et de générateurs comme Siemens, Voith et ABB font partie des bénéficiaires. Dans le cadre de la construction du gigantesque barrage de Belo Monte au Brésil, Mercedes a fourni 540 camions. Les banques internationales tirent profit du financement, impliquant souvent la Banque mondiale ou la banque publique allemande (KfW).

Pour les États qui financent ces projets, le bilan est tout autre. Les constructions sont souvent trop importantes et trop onéreuses. Selon une étude de l’Université d’Oxford, les coûts générés par les barrages augmentent en moyenne de 96%. Le barrage d’Itaipu au Brésil s’est même avéré dix fois plus coûteux que prévu. Au Pakistan, le barrage de Tarbela, construit dans les années 70, a entraîné une hausse de la dette publique de 23%.

Pourquoi, malgré tous ces désavantages, les barrages sont-ils autant appréciés des responsables politiques et des entreprises ?

Les barrages apportent du prestige aux responsables politiques, du moins temporairement. Ils sont un symbole de pouvoir. Les responsables politiques peuvent ainsi s’ériger en « bâtisseurs » et en propulseur d’économie. Compte tenu de l’ampleur de nombreux projets, les critiques font figure d’esprits chagrins et alarmistes refusant tout progrès.

Dans les années 70 et 80 du siècle dernier, les grands projets étaient considérés, dans une certaine mesure  comme les garants du développement du tiers-monde. Nous étions entre-temps revenus de ce credo de la croissance. Mais, depuis l’année 2000, la construction de barrages retrouve son essor. Ce sont surtout dans les pays émergents comme la Chine et le Brésil que les responsables politiques veulent porter l’économie au premier rang mondial à la faveur d’une électricité « bon marché » et « verte ».

La corruption joue vraisemblablement un rôle déterminant.

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