Banque mondiale : ne financez pas les exactions contre les populations locales en Tanzanie !

Troupeau d’éléphants dans le Serengeti Oui à la conservation, mais pas au prix de graves atteintes aux droits humains des communautés locales (© Rettet den Regenwald / Mathias Rittgerott)

Le projet REGROW est censé promouvoir un "tourisme fondé sur la nature" en Tanzanie. Oakland Institute lui reproche de "permettre" de graves exactions, allant jusqu’au meurtre, notamment par les gardes de parcs nationaux. Le gouvernement tanzanien veut maintenant agrandir l’aire protégée RUNAPA et déplacer plus de 20 000 personnes.

Mises à jour Appel

Au Président de la Banque mondiale

“La Banque mondiale doit cesser de financer le programme REGROW, qui permet l’expulsion de 20 000 personnes et la violation des droits humains de la population.”

Afficher la lettre de pétition

La Banque mondiale finance le projet REGROW en Tanzanie, dont la vocation affichée est la promotion d’un "tourisme fondé sur la nature" mais qui est associé à de graves atteintes aux droits humains : dans son rapport Unaccountable & Complicit, le think tank Oakland Institute reproche à l’institution financière internationale de "permettre au gouvernement tanzanien de recourir à des tactiques violentes pour accroître les revenus du tourisme".

Le parc national de Ruaha (RUNAPA), au centre géographique de la Tanzanie, est au cœur du scandale. L’aire protégée abrite plusieurs millions d’animaux de la savane, des antilopes aux zèbres, ainsi que de nombreux oiseaux, dont les cigognes blanches d’Europe venant passer l’hiver.

Afin de stimuler le tourisme, le gouvernement tanzanien prévoit de doubler la taille du parc et d’augmenter le nombre de gardes. Le projet REGROW de la Banque mondiale, doté de 150 millions de dollars, finance ce plan. En octobre 2022, la ministre Angeline Mabula a annoncé l’expulsion de plus de 20 000 personnes dans le cadre de cette expansion.

« Le projet REGROW n’a rien à voir avec la protection de la nature. Au contraire, la Banque finance un modèle de croissance économique oppressif et violent basé sur l’augmentation des revenus du tourisme », affirme Anuradha Mittal, directrice exécutive d’Oakland Institute.

D’après Oakland Institute, la population locale accuse de meurtres, de violences sexuelles et d’autres agressions brutales les gardes forestiers, financés par la Banque mondiale. Le bétail est confisqué en grand nombre afin de détruire les moyens de subsistance des bergers.

Cette stratégie de violence et d’expulsion n’est pas nouvelle pour les peuples autochtones de Tanzanie dans les régions du Ngorongoro et du Serengeti.

Deux villageois ont déposé une plainte auprès de la Banque mondiale et 852 paysans ont déposé un recours auprès de la Haute Cour de Tanzanie à Mbeya.

Demandons à la Banque mondiale de mettre fin à sa complicité avec les violations des droits humains et les expulsions.

Contexte

Communiqué de presse d’Oakland Institute

Le think tank américain Oakland Institute a publié un communiqué de presse le 28 septembre 2023. Sa directrice exécutive, Anuradha Mittal, y déclare : « Le projet REGROW n’a rien à voir avec la protection de la nature. Au contraire, la Banque (mondiale, ndlr) finance un modèle de croissance économique oppressif et violent basé sur l’augmentation des revenus du tourisme. » 

« Alors que les expulsions forcées des Masaïs à Ngorongoro et à Loliondo sont largement condamnées par la communauté internationale, il est stupéfiant que la Banque se rende complice de graves violations des droits humains en soutenant l’agrandissement d’un autre parc national à des fins touristiques. »

Problèmes liés à l’extension des aires protégées

Une forte augmentation de l’accaparement des terres sous prétexte de conservation de la nature est une crainte partagée dans le monde entier par les activistes pour l’environnement et la défense du droit humains. En effet, près de 200 pays ont accepté de placer officiellement sous protection 30 % de leurs territoires terrestres et marins d’ici à 2030, lors du sommet des Nations unies sur la biodiversité COP 15 qui s’est tenu à Montréal en décembre 2022. C’est ce que l’on appelle le "30 en 30".

Jusqu’à 300 millions de personnes pourraient ainsi perdre leurs terres et leurs moyens de subsistance. L’extension aveugle des zones protégées n’empêchera cependant pas la destruction de l’environnement ni l’extinction massive des espèces.

En collaboration avec de nombreuses organisations, Sauvons la forêt a lancé la pétition "Protégez la biodiversité, mais correctement : en renforçant les droits des peuples autochtones" afin d’attirer l’attention sur ce danger.

Réaction de la Banque mondiale

En réponse aux accusations, l’institution financière internationale a déclaré que son mandat « ne s’étend pas à la supervision de la conduite des agences gouvernementales des pays membres ou à l’intervention en cas d’allégations d’actes répréhensibles non liés à un projet financé par la Banque mondiale. » (version originale en anglais)

« Dans la mesure où le gouvernement poursuit les expulsions dans le but d’étendre les limites du parc, de telles activités sortiraient du cadre du projet » (version originale) se justifie la Banque mondiale par ailleurs.

En ce qui concerne les allégations de violences commises par des gardes forestiers, la Banque mondiale écrit qu’elle ne finance pas d’armes et que les crimes tels que les exécutions extrajudiciaires doivent être signalés aux autorités. Elle néglige donc le fait que les forces de sécurité gouvernementales sont impliquées dans des actes de violence, comme ceux commis à Loliondo contre les Massaï.

Témoignages de villageois 

Villageois cité dans le rapport d’Oakland Institut :

« Les habitants de Mbarali souffrent beaucoup des gardes armés du RUNAPA. Ils les traitent avec cruauté, y compris en les tuant, sans raison valable. Le gouvernement n’a pris aucune mesure. Il n’y a pas d’État de droit. Les terres des agriculteurs et des éleveurs sont accaparées par le RUNAPA et nous sommes contraints de quitter nos terres ancestrales. Si aucune mesure n’est prise, les communautés de Mbarali tomberont dans la pauvreté, ce qui n’était pas l’intention du projet REGROW. » (version originale)

Un habitant de la région a déclaré au journal The Guardian :

« De nombreux agriculteurs n’ont pas pu cultiver leurs terres cette année, causant faim et pauvreté. De nombreux habitants des villages concernés sont confrontés à un avenir incertain et à des souffrances psychologiques. […] Je demande à la Banque mondiale d’interrompre immédiatement le projet et de mener une enquête approfondie sur les allégations de violation flagrante des droits humains dans la zone du projet. » (version originale)

Premières conséquences pour les populations locales

Selon Oakland Institute, la menace d’expulsion a déjà un impact sur la vie quotidienne des habitantes et des habitants. Une grande partie des rizières n’a pas été labourée étant donné que l’expulsion pourrait avoir lieu avant la récolte. Des maisons ont déjà des marquages pour démolition dans plusieurs villages. À Luhanga, Les travaux de construction d’une école secondaire ont été interrompus. À Iyala, le nombre d’élèves passant de l’école primaire à l’école secondaire a chuté de façon spectaculaire. En raison des menaces d’expulsion, les parents ont cessé d’envoyer leurs enfants à l’école.

Tourisme

Le tourisme est l’une des principales branches d’activités et sources de revenues pour la Tanzanie.

Le plan gouvernemental visant à développer le tourisme s’appuie notamment sur un rapport de la Banque mondiale de janvier 2014, qui mettait en évidence le potentiel inexploité de la Tanzanie, qui comptait "seulement" un peu plus d’un million de visiteurs annuels du pays en 2013. Le gouvernement tanzanien a pour objectif de multiplier par huit les recettes touristiques d’ici à 2025 et semble désormais cibler en particulier les touristes venant de Chine, d’Inde et de Russie.

Projet REGROW

Le projet "Resilient Natural Resource Management for Tourism and Growth" a été lancé en 2017 pour une période de huit années. Parmi ses objectifs, REGROW doit soutenir "l’amélioration de la gestion des ressources naturelles et touristiques dans des zones prioritaires du sud de la Tanzanie et l’accès à des sources de revenus alternatives pour la population locale".

Le projet concerne quatre aires protégées : le parc national de Mikumi, le parc national de Nyerere, le parc national des monts Udzungwa et le parc national de Ruaha.

106 des 150 millions de dollars du programme sont alloués au développement des infrastructures dans les aires protégées, comme la construction de routes pour améliorer l’accès aux points de vue, aux pistes d’aviation et aux centres d’accueil des visiteurs. En outre, des fonds ont été alloués à la construction de sept postes de sécurité et à l’équipement des gardes forestiers. L’objectif est de permettre aux forces de sécurité d’empêcher l’utilisation "illégale" des ressources, dont l’agriculture et le pâturage.

Un budget de 11,5 millions de dollars a été alloué aux moyens de subsistance alternatifs de la population locale. Plusieurs milliers de ménages devaient être formés à travailler dans le secteur du tourisme, par exemple comme guides de safari, en fabriquant et en vendant des objets artisanaux ou en cultivant des aliments pour les personnes venues découvrir le pays. À ce jour, le projet est loin d’avoir atteint ces chiffres.

Au mois d’octobre 2023, la Banque mondiale avait transféré 92 millions de dollars, dont 28 millions après la réception de la plainte officielle des villageois au mois de juin précédent.

Parc national de Ruaha 

L’aire protégée actuelle avait été désignée comme réserve de gibier de Saba par le gouvernement colonial allemand en 1910. Une autre administration coloniale, britannique cette fois, l’avait ensuite rebaptisée réserve de gibier de Rungwa en 1946. Avec la création de la Tanzanie en 1964, cette zone a été déclarée parc national de Ruaha (RUNAPA).

Le gouvernement affirme que les villages aujourd’hui visés par les expulsions se trouvent à l’intérieur des limites du parc national et sont donc illégaux, étant donné la décision d’agrandissement prise en 2008. Les autochtones contestent cette affirmation, car l’extension n’a jamais obtenu leur consentement ni été mise en œuvre.

Le bassin versant du Ruaha a été qualifié de "colonne vertébrale écologique" de la Tanzanie. Le parc national abrite l’une des plus grandes populations d’éléphants et de lions du pays, ainsi que plus de 570 espèces d’oiseaux. On y trouve également des léopards, des guépards, des hyènes, des chiens sauvages, des girafes, des buffles, des zèbres, des phacochères et des antilopes. La rivière est peuplée de nombreux hippopotames, crocodiles du Nil et de poissons.

Deux centrales hydroélectriques ont été construites sur le Ruaha dans les années 1970 et 80. La rivière est également utilisée pour irriguer les rizières de grandes entreprises. Le gouvernement tente de développer l’hydroélectricité, la riziculture et le tourisme, bien que le niveau du cours d’eau ait baissé au cours des dernières années. La population locale a été injustement accusée d’être responsable de cette baisse.

Populations autochtones

Les peuples autochtones Sangu, Sukuma et Massaï vivent dans la région depuis des générations.

Les Sangu sont considérés comme les habitants originels de la zone humide d’Ihefu, où ils faisaient déjà paître leur bétail avant l’époque coloniale.

Lettre

Au Président de la Banque mondiale

Monsieur le Président,

Nous sommes préoccupés par les informations révélées sur le projet REGROW (Resilient Natural Resource Management for Tourism and Growth) de la Banque mondiale en Tanzanie. Selon le rapport Unaccountable & Complicit d’Oakland Institute, le soutien de la Banque mondiale au gouvernement tanzanien, destiné à l’agrandissement du parc national de Ruaha (RUNAPA), serait directement lié à des expulsions à grande échelle et à des violations des droits humains.

Bien que les documents de la Banque mondiale indiquent que le projet n’entraînera pas de déplacements de population, la Ministre des Terres, du Logement et du Développement de l’Habitat a annoncé publiquement le 25 octobre 2022 que le gouvernement allait expulser plus de 20 000 autochtones de la région afin de permettre l’extension de RUNAPA.

Les populations villageoises accusent de meurtres et de nombreux actes de violence les gardes de l’autorité des parcs nationaux TANAPA, qui sont financés par REGROW, depuis le début du projet en 2017. Les autorités confisquent et vendent également du bétail aux enchères en grand nombre, ce qui affecte sérieusement les moyens de subsistance des bergers. Ces violences et confiscations visent très probablement à forcer les gens à quitter leurs terres.

Le rapport Unaccountable & Complicit fournit des preuves difficilement réfutables selon lesquelles le gouvernement tanzanien viole les procédures opérationnelles et les garanties de la Banque mondiale en planifiant des expulsions sans plan de relogement formel et sans processus adéquat de consultation et d’indemnisation. Selon Oakland Institute, l’équipe du projet REGROW a décliné toute responsabilité et n’a donc pris aucune mesure lorsqu’elle a été informée de violations des droits humains. Cette passivité persistante est inacceptable.

Les atrocités commises par le gouvernement tanzanien à l’encontre de sa propre population et son mépris manifeste pour les procédures opérationnelles et les garanties (operating procedures and safeguards) de la Banque mondiale disqualifient à nos yeux le pays pour un financement.

Nous vous enjoignons de cesser les paiements dans le cadre de REGROW et de mettre immédiatement fin à la complicité de la Banque mondiale.

Nous vous prions d’accepter, Monsieur le Président, les assurances de notre haute considération.

Mises à jour

Ouverture d'une enquête par la Banque mondiale

La Banque mondiale annonce avoir ouvert une enquête visant l’autorité des parcs nationaux de la Tanzanie (TANAPA), dont les gardes sont accusés de meurtres, d'actes de torture, de viols, ainsi que de confiscation illégale de bétail, par la population locale.

L'ouverture de l'enquête a été déclenchée par une plainte déposée par l'Oakland Institute en juin 2023 au nom des villageois du district de Mbarali touchés par l'expansion du parc national de Ruaha. « Cette violence étant systémique, l'enquête de la Banque ne peut pas se concentrer sur quelques "pommes pourries" (des cas individuels de gardes forestiers). Elle doit reconnaître que la violence et les abus sont les instruments d'une politique malveillante qui vise à chasser les gens de leurs terres », a déclaré sa directrice exécutive Anuradha Mittal.

Sauvons la forêt se félicite de cette première étape. La demande de la pétition reste inchangée : la Banque mondiale doit cesser de financer le projet REGROW, pour ne pas être complice de la TANAPA ou du gouvernement tanzanien.

Footnotes

"permettre au gouvernement tanzanien de recourir à des tactiques violentes pour accroître les revenus du tourisme"extrait du communiqué de presse (en anglais) d’Oakland Institute : "the World Bank is enabling the violent tactics of the Tanzanian government to increase tourism revenue"


doubler la taille du parc

Les limites du Ruaha National Park (RUNAPA) ont été étendues sur le papier dès 2008 par le gouvernement, pour atteindre théoriquement plus de 2 millions d’hectares (20 226 km2). Cette décision n’a cependant jamais été appliquée. Les populations des villages, légalement enregistrés, n’ont jamais donné leur consentement libre, préalable et éclairé et sont restées dans la zone.

La Banque mondiale indique ainsi que la taille de RUNAPA est de 13 000 km2 dans son dossier de projet.

Aujourd’hui, le gouvernement travaille à la mise en œuvre de l’extension du parc national et a annoncé, en octobre 2022, des plans d’expulsion de villages au motif qu’ils seraient situés à l’intérieur de ses limites.


projet REGROW

Informations détaillées du programme "Resilient Natural Resource Management for Tourism and Growth" sur le site Internet de la Banque mondiale :
https://projects.banquemondiale.org/fr/projects-operations/project-detail/P150523


plus de 20 000 personnes

Les expulsions visent les populations de cinq villages limitrophes du parc national de Ruaha (Luhanga, Madundasi, Msanga, Iyala et Kilambo) ainsi que de 47 quartiers de 14 autres villages.


agressions brutales

Voir le rapport "Unaccountable & Complicit" de l’Oakland Institute (à partir de la page 10). 


détruire les moyens de subsistance

Les agences gouvernementales ont saisi un grand nombre de têtes de bétail. L’énorme pression financière induite par ces saisies sape les moyens de subsistance des éleveurs et les oblige à quitter la région. Ces actions sont en contradiction avec l’un des objectifs supposés du projet REGROW, qui est de renforcer les moyens de subsistance des communautés locales. 

Le média "Peoples Dispatch" a publié un article sur les expulsions et les violences : Tanzanian farmers are paying for “conservation” with their land and lives


plainte auprès de la Banque mondiale

Les deux villageois ont déposé la plainte au nom de leurs communautés. Ils restent anonymes pour des raisons de sécurité.

Avis d’enregistrement détaillé : Notice of Registration - Request for Inspection - Tanzania: Resilient Natural Resource Management for Tourism and Growth - (REGROW) (P150523)


version originale

The Bank also claimed that its mandate “does not extend to overseeing the conduct of Member countries’ government agencies or to intervening in the event of alleged wrongdoing unrelated to a World Bank-financed project.”


version originale

“To the extent that the government is pursuing evictions for purposes of extending park boundaries, such activities would fall outside the scope of the Project.”


version originale

“People living in Mbarali are suffering very much from RUNAPA armed rangers. They treat them with cruelty, including killings, with no proper reason. No steps have been taken by the government. There is no rule of law. The land of the farmers and pastoralists is taken by RUNAPA and we are forced to leave our ancestral land. The communities of Mbarali, if steps are not taken, will fall into poverty, which was not the intention of the REGROW project.”


version originale

“Many farmers were barred from cultivating their farms this year causing hunger and poverty. Many of the residents of the villages in question face an uncertain future and psychological pain. ... I want the World Bank to immediately halt the project and conduct forensic investigation on the allegations of gross violation of human rights in the project area.”

Cette pétition est également disponible en :

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