Canne à sucre au Kenya: les monocultures menacent le delta de Tana

15 684 signatures

Le développement économique à n’importe quel prix et avec plein pouvoir. Voila ce que s’est fixé comme but le gouvernement du Kenya, qui vend morceau par morceau le delta du fleuve Tana, l’un des territoires humides les plus importants d’Afrique – une surface de 130 000 hectares d’une biodiversité très riche et menacée -, à des entreprises nationales et étrangères. En premier lieu doivent y être établis d’énormes champs de canne à sucre, entre autre pour la production d’éthanol pour le marché européen. Un écosystème d’une grande valeur est menacé de destruction, et 25 000 Hommes pourraient être contraints de quitter leurs villages.

Appel

Les hippopotames ont de l’eau jusqu’au cou, et c’est très bien ainsi. « Mais pour combien de temps encore ? », demande Maulidi Diwayu en inspectant soucieusement le colossal troupeau, qui domine un petit lac dans le delta du fleuve Tana. « Si le gouvernement ne retire pas sa décision, ces hippopotames se trouveront bientôt sur un sol sec ». Maulidi Diwayu se bat depuis des années avec son organisation écologique et des droits de l’Homme « Tadeco », pour la conservation de sa région d’origine ; c’est aussi le pays natal de milliers de fermiers, pêcheurs et bergers, et d’un million d’animaux de pâturages. Et pas seulement. « Nous vivons ici au milieu d’une biodiversité très riche » dit Diwayu, « car la cohabitation d’eau douce et d’eau salée offre à la faune et à la flore un milieu de vie très particulier, en particulier pour les oiseaux. » Le delta abrite 350 espèces d’oiseaux et est une importante aire de repos pour les oiseaux migrateurs. Dans ses forêts poussant près des rivières, vivent deux des espèces de primates les plus menacées au monde : les singes piliocolobus rufomitratus et cercocebus galeritus de Tana. Beaucoup d’espèces d’amphibiens et de reptiles n’existent que dans cette région. « Et le delta n’a tout de même pas d’aires protégées », se plaint Diwayu, « bien que le Kenya ait aussi signé la Convention de Ramsar, l’accord international sur la protection des importants territoires humides de notre planète. » Au lieu de cela, le gouvernement vole leurs terres à ses citoyens, qui les cultivent et y vivent depuis des siècles. Il a cédé des droits fonciers pour une surface de 40 000 hectares à l’agence semi-étatique TARDA, au départ pour planter du riz et du maïs pour lutter contre la famine et la misère. Mais le but réel est bien la canne à sucre, pour produire de l’éthanol pour le marché mondial. Pour ce faire, on a déjà construit des barrages, creusé des canaux d’irrigation, et privé la population d’eau. « Le gouvernement n’avait aucun droit de faire ça », déclare l’écologiste Diwayu. « Les terres ici sont des propriétés foncières collectives, que l’Etat ne doit gérer qu’en accord avec ses citoyens, et n’a pas le droit de vendre, encore moins sans aucune consultation ni participation des Hommes qui y vivent! » Les plus grandes craintes des habitants du delta semblent à présent se réaliser. La première plantation de canne à sucre doit s’étendre sur 20 000 hectares ; un projet commun entre TARDA et Mumias, le plus grand producteur de canne à sucre du Kenya. Et ce n’est que le début. Au moins deux autres grandes multinationales sont avides de recouvrir le fertile delta avec des plantes énergétiques pour biocarburant. L’Emirat Katar investit dans les champs afin de nourrir sa population ; une entreprise canado-chinoise veut extraire du titane sous les dunes de sable. Le gouvernement kenyan qualifie ces plans d’ « avancée économique » et « combat contre la pauvreté », et se garde bien jusqu’à présent de dévoiler certains détails. Les activistes environnementaux ont déjà échoué une fois avec leur plainte contre la destruction du delta. « Nous allons essayer à nouveau », affirme Maulidi Diwayu, qui espère un soutien international. Pour cela, les activistes ont adressé une lettre de protestation au premier ministre kenyan ainsi qu’aux autorités responsables, avec une demande à la communauté mondiale : participez à notre action pour la protection d’un écosystème d’une grande importance pour toute la planète ! Vous trouverez ici une traduction de la lettre en français. Vous pouvez lire le reportage détaillé de notre visite dans le delta de Tana dans le nouveau Regenwald Report en ligne, ou bien commander un exemplaire imprimé. Soutenez les activistes environnementaux pour les coûts des procédures judiciaires et les ateliers de travail.

Contexte

Cher Monsieur le Premier Ministre Odinga, Le public mondial est très inquiet au sujet de votre projet de réaliser des plans de développement dans le delta de Tana. Ceux-ci reviendraient à déduire le delta de Tana. Le delta de Tana est connu pour être d’une importance internationale en matière de faune et de flore. Votre projet de transformer l’ensemble du delta en plantation irriguée n’a pas pris en compte les points suivants : La vente par Tana & Athi Rivers Development Authority (TARDA) ne répond pas à la procédure légale ; l’agence semi-étatique TARDA a d’ores et déjà détruit des terres, a détourné plusieurs fois le fleuve Tana, étant donné qu’elle revendique les droits de propriété comme étant les siens, et a installé un grillage électrique. Le tout sans étude de l’impact sur l’environnement ni information des communautés. Par la suite, TARDA a déplacé des villages sans dédommagements et détruit la nature, a fait éclater des conflits dans les relations humaines et dans la cohabitation entre l’Homme et l’animal. A travers le projet, la population s’appauvrit de plus en plus. On leur indique simultanément que le gouvernement et le Programme Alimentaire Mondial leur fournit de la nourriture. Pendant la planification et la réalisation du projet, la population locale a été trompée et dépossédée de son pouvoir. Aucune mesure n’a été prise pour le développement durable du delta. Le gouvernement a cédé des terres à des personnes extérieures, sans respecter la procédure précédemment décrite ; et jusqu’à présent il n’a pas considéré d’attribuer les terres à la population à laquelle elles reviennent vraiment. Le gouvernement a délivré des licences qui ont des lacunes dans le domaine social et environnemental, ce qui viole l’Environmental and Management Coordination Act de 1999. Ceci a conduit à la destruction de l’environnement dans le delta de Tana, et au non-respect des droits de l’Homme. Le gouvernement ne respecte pas la convention internationale Ramsar, bien que le Kenya l’ait ratifiée. Le gouvernement a échoué à contrôler et protéger les ressources d’eau dans le delta. Le gouvernement gère fiduciairement les terres pour les communautés et n’a pour cela aucun droit de décision sur leur destin. Il a donc violé cette loi tutélaire. Pour ces raisons, je prie le gouvernement du Kenya de retirer sa décision de sacrifier l’écosystème du delta de Tana pour son projet agraire. Les terres devraient être attribuées aux populations établies, afin qu’elles puissent les exploiter respectueusement, comme jusqu’à présent. Les acquisitions de terrain et détournement de fleuve qui ont déjà eu lieu doivent être annulés. De plus je vous prie de placer le delta de Tana sous protection, conformément à la convention de Ramsar signée par le Kenya. Je suis certain(e) que vous pourrez compter sur un soutien international sur tous ces points. Cordialement,

Lettre

Hon. Raila Odinga, Prime Minister, Republic of Kenya
info@primeminister.go.ke

cc:
Director General, National Environment Management Authority
dgnema@nema.go.ke

Permanent Secretary, Ministry of Regional Development
psmr@regional-dev.go.ke

The Director of Kenya Wildlife Service
kws@kws.go.ke

Dear Mr. Prime Minister Hon. Raila Odinga,

The world notes with concern your plan to realise a development initiative in the Tana Delta which would lead to the destruction of the Tana Delta. It is well known that the Tana Delta is of international importance for the conservation of both fauna and flora. The plan which you envision would convert the entire delta into an irrigation project. The following issues have not been considered:

*Land acquisition by the Tana & Athi Rivers Development Authority (TARDA) is unprocedural. The authority has already destroyed part of the landscape, has diverted much of the Tana river since claiming ownership over the water, and is now installing electrical fencing without an Environmental Impact Assessment and without community consultation and awareness. Communities already being displaced and biodiversity is being destroyed without compensation. Conflicts between humans and wildlife and between people are being created in the delta, The project has created persistent poverty amongst local communities who have become highly dependant on food relief from the Government and World Food Programme.

*Sidelining and cheating of local communities during planning and implementation of projects and lack of sustainable development plans in the Tana Delta.

*The Government has been allocating land to outsiders without adhering to the procedures laid down and yet you have not considered allocating land to the local people who are the bonafide owners of the said land.

*The Government has been issuing licenses to projects which have social and environmental flaws and which acontravene the Environmental and Management Coordination Act 1999. This has triggered environmental degradation and human rights violation in the Tana Delta.

*The Government has failed to adhere to the international RAMSAR convention which Kenya has signed.

*The Government has failed to control and manage water resources in the Tana Delta.

*The Government is holding land in trust for the community and therefore has no mandate to decide about its fate. However, you have been abusing that trust.

Therefore I am asking the government of Kenya to change its decision to destroy the Tana Delta eco-system for agrobusiness projects. Instead, land titles should be given to the local population so that they can continue farming it as before. The landgrabbing and river diversion which have already happened must be reversed. Furthermore, I call on you to protect the Tana Delta according to the Ramsar Convention, which has been signed by Kenya. I am sure that you can expect international support for such actions.

Yours faithfully,

Inscrivez-vous à notre newsletter

Suivez l’actualité de nos campagnes pour la protection de la forêt tropicale grâce à notre lettre d’information !